Bras tombés
Parce que l'Autre a tout envahi et qu'il est désormais difficile de prendre la parole, les bras lui en tombent ...
Lui redonner la parole Elle-même est déjà une lutte de tous les instants lorsqu'on sait qu'Elle est tiraillée en continu par des fantômes et des voix intérieures qui l'entraînent vers le fond. Lorsqu'on sait qu'Elle se fait violence pour des choses qui sont par ailleurs naturelles : manger, écouter sa faim, ne pas se noyer sous des litres d'eau et de Coca Light pour se leurrer, ne pas autoriser dans ses assiettes que la liste des aliments restreinte à ceux dont la valeur nutritionnelle ne dépasse pas xx calories aux 100 grammes, ne pas s'imposer le jeûne lorsque, d'aventure, Elle s'est laissée aller au plaisir d'une gourmandise. Bien sûr, tout cela paraît si insensé lorsqu'on ne le vit pas dans ses tripes ...
Les dégâts de l'Autre sont, hélas, bien plus conséquents car c'est sous ses traits qu'Elle finit par apparaître aux yeux des autres. Sous les traits d'un spectre qui se ferme à la Vie et derrière lequel Elle s'est effacée. Sa parole à Elle, on finit par ne plus l'entendre qu'avec le décodeur de l'Autre. Si Elle ne veut pas manger ceci ou cela, on ne pense pas qu'Elle puisse ne pas aimer, mais qu'Elle ne veut pas manger. Si jamais, Elle parvient à affronter une assiette plus remplie ou dans laquelle un aliment jusqu'alors "interdit" a été réintroduit, on trouve ça suspect, on la suivrait même après son repas pour vérifier ... au cas où ...
De tout cela, Elle est fatiguée, usée. C'est dur d'être Elle quand pendant des années Elle s'est laissée brider, c'est dur d'avoir à prouver tant de choses pour parvenir à exister, c'est dur de ne pas baisser les bras et capituler parce qu'au fond "à quoi bon?". C'est dur de vivre une vie dans laquelle Elle survit, c'est dur de ne pas se laisser envahir par l'impression qu'Elle n'est pas faite pour ici.
C'est dur : putain de bordel de merde, que c'est dur !